La double peine – 2015
Photographier la misère est à la mode. C’est tellement facile, ce ne sont pas les mendiants qui manquent dans les rues. On prend une posture concernée, humaniste, commisérante, pour sensibiliser, dénoncer, faire culpabiliser. On veut obliger ses contemporains nantis à voir ce qu’ils ne veulent pas regarder et s’acheter une bonne conscience à peu de frais…
Et pourtant, cette scène est singulière. Ce contexte maintes fois observé souligne que la mendicité devient plus encore un élément de décor urbain. Avec des enfants ou des chiens, on s’y est finalement accoutumé, elle devient acceptable, elle rassure sur son propre statut social. En revanche, la mendicité ridée comme ultime abîme est tellement insupportable que les yeux seront volontairement évitants. Le jeunisme à la mode ne tolère pas la vieillesse ennemie qui ne peut même plus apitoyer du regard, la lueur des yeux s’en est allée. On l’imagine veuve. A-t-elle eu des enfants ? Où sont-ils, que font-ils ? Pourtant, pas rancunière avec la vie, elle s’acharne à être inutilement présente pour cette rue active qui est calfeutrée dans ses œillères. Même condamnée, c’est comme si sa vie devait jusqu’au bout signifier quelque chose, c’est sa dignité. Cette présence silencieuse nous le rappelle : j’ai été jeune comme vous, je suis votre passé mais aussi votre futur…
8 janvier 2016
Point de vue