En photographie comme pour le cinéma ou la littérature, c’est l’époque de la remise des prix. Le Cannes du photojournalisme, c’est Perpignan avec son festival annuel « Visa pour l’image ». Le « Visa d’Or News » a été décerné cette année à Bülent Kiliç pour cette photographie publiée hier dans la presse. Il n’est pas étonnant que ce soit le thème des migrants qui ait été à l’honneur cette année et ce n’est pas sur ce point que je me permettrai de porter un jugement.
Quand je regarde cette image (car comme pour celle du petit Aylan, ne parlons pas de photographie…), je ne puis m’empêcher de dénoncer une supercherie qui fait honte à la profession. En effet, tout laisse apparaître qu’elle a été fabriquée : il fallait des migrants, des barbelés, il ne manquait plus que de leur demander de poser, de suspendre leur fuite quelques secondes le temps que le photographe fasse ses réglages. Dans cette mise en scène surréaliste, il esquisse même un sourire dérisoire, celui qui semble être le père de la fillette, qui est la seule à afficher un regard grave, comme accusateur envers ce photographe qui lui, fait son miel de son malheur à elle. Mais je ne lui jette pas la pierre gratuitement à ce photographe, ce serait trop facile.
Il faut comprendre qu’à notre époque, où le monde occidental bien-pensant se rengorge d’une information de qualité, le photojournaliste ne fait que répondre à un cahier des charges. Il est aux ordres d’un système médiatique qui prescrit ce qui doit être diffusé, ce qui doit être pensé. Jadis, le photographe proposait un sujet avec son regard. Je pense au reportage d’Henri Cartier-Bresson en URSS (1954), en pleine guerre froide, publié par la plupart des magazines de l’époque : Life (The People of Russia – photos by Cartier Bresson), Paris-Match (le peuple russe vu et photographié par Henri Cartier-Bresson), Die Stern etc… Qu’a-t-il montré ? Des chars d’assaut, des missiles, des défilés militaires pour effrayer le lecteur occidental de la menace soviétique qui pesait sur le monde libre ? Que nenni : toutes ses photographies en noir et blanc montrent le quotidien des Russes, tout simplement mais avec justesse et sans emphase de mauvais aloi. De nos jours, il faut mettre de la couleur sur l’horreur, le photographe est devenu un tâcheron misérable au service d’une mascarade d’information avec des effets de loupe qui font oublier le reste. On m’objectera (car je sais par avance que la profession sera en désaccord avec mes propos, voire en colère…) la précarité actuelle du photojournaliste responsable de cette évolution. Ainsi, il s’agirait donc de prostitution pour le photojournaliste et de proxénétisme pour ses commanditaires ? Et ces prix dérisoires qu’on leur décerne ne seraient que des susucres pour leur montrer qu’on leur témoigne quand même une petite reconnaissance que les grands médias leur refusent ?
Le vrai photojournalisme, dans toute sa noblesse, est devenu rare. Même les agences de photographes censées protéger leurs intérêts vendent leur âme, parfois à des fonds de pensions américains… La solution pour conserver un regard clair, sain, non corrompu ? Ne pas exclusivement dépendre de son regard pour manger, c’est éviter la tentation de scandaleuses compromissions…
6 septembre 2015 à 15 03 08 09089
Je crois, malheureusement, qu’aujourd’hui toutes les professions imposent des compromis… le photo-journalisme n’y échappe pas, car c’est devenu seulement ça, une profession.