Aylan Kurdi

3 septembre 2015

Point de vue

   L’image d’Aylan Kurdi qui inonde en ce moment le web, les chaînes de télévision, me rappelle celle de la fillette et le vautour de Kevin Carter, qui reçut le prix Pulitzer en 1994 à cette occasion et se suicidera un an plus tard apparemment pris de remords pour avoir préféré « faire son travail » que de porter secours à son « sujet »… Dans les deux cas, c’est le fruit d’une conjonction entre le « sujet » photographié, le photographe et un contexte d’actualité dans lequel s’inscrit cette scène…

   Il faut en effet parler d’image, de slogan et non de photographie, car elle traduit de mon point de vue la misère du photojournalisme actuel, sommé de délivrer une information, des preuves, la fameuse photo-choc qui fera monter le tirage (papier ou numérique peu importe), convoquant l’émotion grégaire plus que la réflexion, une empathie intelligente. Cette image n’est pas une photographie car elle ne dit rien. Car il y a l’image (même pas composée mais c’est un détail) et tout ce qui est hors champ : il faut imaginer les « vautours » qui ont photographié ce pauvre petit corps sans vie sous toutes les coutures (plusieurs angles de prises de vues sont proposés), presque de façon chirurgicale, pour le jeter ensuite en pâture sur les réseaux sociaux qui aiment se repaître du malheur, pour faire vibrer la corde de la sensiblerie, le temps de quelques jours… Ces pauvres photographes ne sont pas les seuls à blâmer, ils font partie d’un système dit d’information…

   Ne nous leurrons pas, cette image ne règlera pas la question des migrants, pas plus que celle de Carter n’aura changé le sort des Soudanais. Au-delà des larmes de crocodile des gouvernants européens, elle justifiera les actions militaires néo-coloniales à venir…

Sur un thème analogue, vous pouvez lire : Introduction à la non photographie

 

 

À propos de LAURENT JEANNIN

Depuis plus de 30 ans, Laurent Jeannin parcourt le monde à la découverte de sa plus grande richesse : ses peuples. Il fait souvent le grand écart entre l'Amérique du sud et l'extrême orient sans pour autant négliger l'Europe et bien sûr la France. La photographie est son mode d'expression favori, qu'il conjugue sous forme de diaporamas en fondu enchaîné et sous forme de photographies noir et blanc dont il assure lui-même le traitement. "L'acte photographique n'a de sens et d'intérêt que parce qu'il me permet de comprendre le monde, ni plus ni moins. Photographier ce qu'on pense rend aveugle, penser à ce qu'on photographie rend borgne. Alors je préfère me laisser surprendre par la vie : le hasard compose, je dispose."

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8 Réponses à “Aylan Kurdi”

  1. MARIE Dit :

    Je suis écoeurée de voir cette photo partagée sur tous les réseaux entre une pub de Cadbury et une invitation à un concert !
    Les journalistes recherchent des grands effets et c’est tout le contraire qui se produit, c’est la banalisation de l’horreur, le marché de la misère… Quand je pense qu’on risque un procès lorsqu’on présente l’image d’un enfant souriant et qu’on se permet par ailleurs de profiter de la misère pour faire monter l’audimat avec ces photos d’enfants morts ou mourants, faméliques… c’est humiliant pour l’humanité !

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    • LoJ Dit :

      Je me suis autorisé ce billet à titre exceptionnel, car je pratique « un peu » et depuis « quelques » années le reportage. Je sais par avance que les gens de la « profession » en prendront ombrage. Je me réjouis de la fréquentation et du temps passé à sa lecture qu’il suscite depuis qu’il est en ligne, mais je me réjouirais davantage s’il pouvait mener à une prise de conscience personnelle et non « BFM-TVisée »…

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  2. Galorbe Dit :

    Je ne suis pas d’accord avec vous. D’abord Kevin Carter ne s’est pas suicidé par remord mais parce que l’histoire de sa photo l’aura rendu dépressif. Il a aidé l’enfant qui d’ailleurs était déjà pris en charge par des médecins car, ce que la photo ne montre pas c’est qu’elle a été prise dans l’enceinte d’un camp de la croix rouge (ou equivalent). Pour cette photo de Aylan, vaut il mieux fermer les yeux et faire comme si il ne se passait rien de bien grave, comme le font si bien les médias français qui préfèrent titrer leur une sur des tracteurs aux champs Elysées plutot que sur ce problème ? Bien sur que cette photo ne changera rien mais elle a le mérite de montrer ce qui se passe en 2015 à quelques centaines de km de nos chers tracteurs. N’est ce pas le but de toute photo d’actualité? S’il faut passer par une image choquante, alors il n’y a pas d’hésitation à avoir : des images choquantes, on en a plein les paquets de clops !

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    • LoJ Dit :

      Remords ou dépression pour Carter, c’est pareil, c’est consécutif à cette photo dont il est l’auteur. Concernant cet article, on est dans la manipulation de masse une fois de plus, pour masquer l’incurie des gouvernants (que nous élisons mais inféodés aux puissances financières), incapables de prendre une quelconque responsabilité. A quoi bon prendre le citoyen à témoin sinon pour faire pleurer dans les chaumières ? Et je rejoins Marie, le traitement de l’information est abject.

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  3. Galorbe Dit :

    Vu ta tournure de phrase dans ton billet, remord ou dépression c’est pas tout à fait pareil. Pour cette photo, on serait dans la manipulation de masse si cette photo avait été partagée par des médias « de masse », mais il me semble que c’est un témoin de la scène qui l’a partagé, pour témoigner, c’est différent là aussi. Le printemps arabe s’est construit sur ce genre de temoignage, loin des médias « normaux », faut il leur jeter la pierre ?
    (Tu peux virer mon second commentaire du coup, espèce de censeur ;-) )

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    • LoJ Dit :

      Je n’ai rien censuré. Il faut simplement rafraîchir la page. J’ai supprimé le second commentaire pour satisfaire le client ;-)

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    • LoJ Dit :

      Qu’est-ce qu’un média normal ? Les réseaux sociaux (nouvel opium du peuple aurais-je tendance à dire) qui font de tout un chacun le rouage consentant et zélé d’une propagande infernale ? Il n’y a qu’à regarder l’uniformité de ce qui est publié en majorité pour se rendre compte que l’esprit critique est bien souvent défaillant. Nous vivons à une période où le cynisme, sous couvert de bien-pensance humanitaire, est à l’honneur. Où est le témoignage ? Quels intérêts sert cette image ? Ceux des réfugiés qui ne le sont pas encore, loin s’en faut ?

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  4. MARIE Dit :

    Le fait que les photos de cet enfant aient été prises et/ou partagées par des « témoins » n’excuse rien, bien au contraire, dirai-je… en tant que mère, j’aurais arraché les yeux de tous les vautours qui auraient eu ce genre de regard sur l’enfant, s’il avait été mien !
    On se repaît de la misère des autres pour se donner bonne conscience, sans se rendre compte de l’indécence de cette compassion à deux balles ! Ce n’est pas de notre pitié dont ont besoin ces populations mais de notre aide… On intervient dans des conflits qui « ne nous regardent pas » seulement lorsqu’il y a quelque profit à la clé. On donne des leçons de civisme à des pays qui respectent déjà plus ou moins les droits de l’homme, tandis qu’on se tait devant les exactions qui poussent des populations à fuir leur pays dans des conditions inhumaines !

    J’arrête ici avant de vomir l’humanité à laquelle j’ai l’heur d’appartenir… si ce commentaire n’a pas sa place ici, qu’il soit effacé, je ne m’en offusquerai pas… mais il m’est difficile de parler « photo » face à certaines images !

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