Bien que j’utilise le support photographique, je ne me considère pas comme photographe. Cela ne correspond ni à une boutade, ni à une coquetterie de ma part.
Qu’est-ce qu’un photographe en définitive ? Je ne me réfère pas au vénérable photographe de quartier, cet artisan du souvenir familial qui a quasiment disparu. Par ailleurs, être photographe ne saurait s’assimiler au fait de posséder ou d’utiliser un matériel photographique. C’est plus l’état d’esprit qui importe.
Le photographe, selon mes propres critères, est une personne qui en plus de son appareil, est armée d’une intention et d’une volonté qu’elle exprime par la photo. Elle prend des photographies en composant ses images, en faisant poser ses sujets si besoin. Une volonté de maîtrise s’exprime par l’enfermement du sujet dans le viseur de l’outil photographique, volonté renforcée par la technologie numérique pour obtenir le bon résultat. Intention et volonté font que la photographie est un moyen d’expression.
Je ne peux me revendiquer photographe parce que je me sens aux antipodes de cette approche. La photo n’est pas pour moi un moyen d’expression, mais plutôt un moyen d’impression, au sens où je suis capté par des impressions nourries par ce que j’observe. Je ne prends pas des photographies, ce sont les situations qui me surprennent et je me contente de les enregistrer. Je ne crée rien, je n’interviens pas , je ne fais pas poser, je ne veux rien maîtriser, je me laisse porter par le hasard… Sans intention et sans volonté, je suis donc non photographe…
Cette analyse me fut récemment confirmée par une journaliste qui m’interviewa lors d’une de mes expositions. En commentant l’image ci-dessous, elle me dit : « J’aime bien cette photographie, mais elle ne pourrait pas être utilisée comme telle dans un journal ou une revue ».
Joignant le geste à la parole, elle proposa le recadrage suivant en masquant de sa main la partie supérieure de l’image. Ainsi, la photo illustrerait mieux et plus efficacement un article sur les droits de l’homme par exemple.
Voilà encore une différence fondamentale entre la photographie et la non photographie : la photographie (et l’image en général), qu’elle soit publicitaire ou journalistique, illustre ou documente, elle est donc orientée, monosémique. Elle prescrit ce qu’on doit penser et comment. Elle se conçoit quasiment comme une preuve de ce qui est énoncé par l’écrit ou la parole.
Pour ma part, je préfère de loin la « non photographie », autrement dit la photographie qui témoigne d’une situation qui questionne, qui donne des idées plutôt que d’être une idée. Si j’ai enregistré cette scène de cette façon, c’est bien parce que mon regard a été capté par sa polysémie qui dépasse le simple point de vue militant. Ce sont votre curiosité et votre réflexion qui sont convoquées, pas mon opinion…
CI-DESSOUS, L’INTERVIEW DE RADIO MORVAN DU 20 MARS 2011
PARTIE1
PARTIE 2
5 février 2015 à 21 09 02 02022
Quelle hérésie, le recadrage proposé ! Cette façon d’enfermer le sujet dans un cadre si étroit qu’on en devient claustrophobe… et puis, lorsque je regarde cette photo, mon oeil forcément est attiré par ce personnage, là bas au fond, ce second rôle si important en somme, qui échappe au sujet, qui s’échappe du cadre, qui élargit l’horizon … ben ouais, une photo ça ne doit pas forcément « être utilisé », hein ! juste, comme ça, elle existe…
5 février 2015 à 22 10 06 02062
Au-delà de cette anecdote personnelle bien innocente, c’est l’occasion de s’interroger sur la façon dont l’information est le plus souvent conçue et diffusée pour stimuler les pulsions, l’épiderme social, plus que la réflexion de ceux qui la recoivent. Ne dit-on pas que les médias « traitent » l’information ? Pour quoi, pour qui ???